Croyez-vous que les vaccins soient dangereux pour nos enfants?

Un défi de communication et d'éducation
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Une personne sur quatre au pays pense que oui!

En ces jours d'inquiétude quant au scénario possible d'une pandémie du coronavirus, est revenue à mon souvenir une question que nous avions posée l'an dernier dans notre étude sur les valeurs des Canadiens sur l'attitude à l'égard des vaccins. Même si on n'a pas trouvé de vaccin pour pour ce dernier virus, le thème demeure d'actualité, particulièrement lorsqu'on observe qu'il y a 23 % de la population au pays qui sont d'accord avec l'idée « que les vaccins sont bien plus risqués pour la santé de nos enfants que ce qu'on veut nous faire croire »!

Des maladies que l'on croyait éradiquées refont surface et risquent de se propager rapidement si de telles proportions de la population persistent à être si sceptiques à l'égard de la vaccination ou décident carrément de ne pas se faire vacciner ou de ne pas faire vacciner leurs enfants . On se rappellera l'alerte médicale déclarée à Portland en Oregon l'année dernière, où près de 200 cas de rougeole avaient été identifiés, notamment chez des individus qui n'avaient jamais été vaccinés. Rappelons aussi que cette région des États-Unis est l'une de celles où la résistance à la vaccination est la plus marquée. Des cas de moindre ampleur ont aussi été observés au Canada, dont au Québec, ainsi qu'en Europe et ailleurs dans le monde au cours des dernières années.

Notons aussi que le 6 février dernier, NBC rapportait la mort d'un enfant de quatre ans au Colorado des suites d'une grippe après que sa mère ait refusé de lui administrer des antiviraux suivant les « conseils » prodigués sur la page Facebook d'un groupe anti-vaccins! .

Ainsi, la désinformation sur le sujet abonde sur internet et sur les médias sociaux. On y prétend que la vaccination présente plus de risques potentiels que de bienfaits. Certains contenus font même un lien causal entre l'autisme et la vaccination! Toutes ces informations ont été contredites par les autorités sanitaires et scientifiques. Mais malgré tout, des gens, au demeurant bien intentionnés à l'égard de leurs enfants, adhèrent à ces théories pseudo-scientifiques, tout en faisant courir le risque de résurgence et de propagation des maladies infectieuses vaincues par le passé, comme la rougeole, la rubéole et les oreillons!

Des jeunes parents aux statuts socioéconomiques précaires

La caractérisation socioéconomique et démographique du phénomène est fort explicite. Même si on ne peut projeter le profil d'ensemble à chacun de ces « sceptiques », de façon générale cette méfiance face à la vaccination est nettement sur-représentée chez les gens ayant des enfants, chez les moins de 35 ans, chez ceux qui ont les revenus et les niveaux d'éducation les plus faibles de la société, ainsi que chez les ouvriers.

Notons qu'il n'y pas vraiment de différences régionales au pays sur cette question, sauf peut-être une légère surreprésentation au Québec à 26 %.

Ainsi, une vulnérabilité économique et sociale évidente constitue le terreau de ce scepticisme face au vaccin; terreau qui peut devenir tout à fait perméable à la désinformation véhiculant les prétendus dangers de la vaccination. L'inquiétude et le manque de repères critiques inhérents (faible niveau d'éducation) à ces milieux de vie soutiennent la sensibilité à ces discours anti-vaccins. Car en plus d'affronter les rigueurs d'une vie peu clémente, on s'inquiète pour ses enfants!

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Fatalisme et cynisme à l'égard des élites

Mais par-delà leurs conditions socioéconomiques difficiles, nos analyses nous indiquent que les « postures mentales », visions de la vie et valeurs personnelles de ces « sceptiques » s'avèrent encore plus déterminantes pour expliquer leur méfiance face à la vaccination; un profil « socioculturel » qui peut s'expliquer notamment par leurs faibles niveaux d'éducation et de revenus.

En effet, on observe clairement sur le plan statistique, qu'ils expriment une vision extrêmement fataliste de la vie associée à un profond sentiment de manque d'emprise. Ils ont l'impression que la vie leur tombe dessus avec tout son fardeau d'incertitude et qu'ils ne peuvent absolument rien faire pour changer le cours de leur existence ou encore pour améliorer leur sort. Pour eux, la vie n'est que défis, et le pire est à venir!

Ils ont cette impression pour presque tous les aspects de leur vie. Ce qui doit aller mal se produira inévitablement. Et si la maladie doit s'imposer, il n'y a rien qu'on puisse y faire, vaccination ou non. Et peut-être que le vaccin pourrait créer d'autres problèmes maintenant?

On observe aussi qu'ils affichent une piètre confiance face aux « élites » de la société. Ils ont une vision très « darwiniste » de la vie. Pour eux, la vie n'est qu'une affaire de gagnants et de perdants, et ils se perçoivent certainement parmi ces derniers. Selon eux, les élites, peu importe lesquelles (politiques, d'affaires, scientifiques, les journalistes, etc.) n'ont pour but que de s'enrichir et d'acquérir du pouvoir au détriment du bien commun. Il y a un conflit d'intérêts permanent, un complot qui, selon eux, les accule à la marginalisation.

Ils ont tendance à penser que les vaccins servent essentiellement à enrichir les compagnies pharmaceutiques et, par ricochet, les médecins et les politiciens, sans aucune considération pour la population.

Fatalisme, cynisme face aux élites et visions darwinistes de la société produisent donc le terreau parfait pour la diffusion de contenus fallacieux sur la vaccination.

Un défi de communication et d'éducation

Ce type de contexte socioculturel pose un défi de taille aux autorités de santé publique. À moins d'imposer politiquement la vaccination, les campagnes de sensibilation peuvent rencontrer leur lot d'opposition. Les autorités sanitaires et scientifiques ne sont pas crédibles aux yeux de ces « sceptiques ». Selon ces derniers, elles font partie du complot ourdi par les élites. On ne peut invoquer la rationalité de la science, ils n'y croient pas, tout en dénonçant ce qu'ils perçoivent comme des conflits d'intérêts.

Par contre, si on analyse leurs cordes sensibles de plus près, on peut y déceler quelques leviers pouvant permettre d'infléchir leurs positions.

Ils accordent une grande importance à leurs réseaux « d'amis » et de connaissances, tout en exprimant un vif besoin de reconnaissance. Ils pourraient fort bien se laisser convaincre de quelques points de vue par ceux qu'ils admirent et/ou qui jouent des rôles d'influenceurs auprès d'eux.

Une stratégie de communication efficace visant à faire reculer la prévalence de cette mouvance de méfiance pourrait donc se fonder sur le « bouche-à-oreille » et le relais d'informations par des influenceurs crédibles au sein de ces communautés d'opposants aux vaccins.

Il faut « infiltrer » ces groupes de sceptiques et y propager « la bonne parole ». L'opportunité est d'y provoquer des conversations sur le sujet entre individus qui s'estiment et qui sont crédibles les uns à l'égard des autres (amis, influenceurs, etc.); méthode de diffusion d'information qui est souvent utilisée en communication marketing lorsqu'on a affaire à des segments d'individus auprès desquels la publicité traditionnelle n'est plus crédible.

Par ailleurs, ces méfiants expriment aussi un sens très prononcé de responsabilité sociale et de volonté d'entraide. La vaccination pourrait donc s'imposer comme vecteur de responsabilité sociale dans ces conversations ciblées.

Ainsi, la cause n'est donc pas totalement perdue, même si la proportion de sceptiques au pays peut sembler alarmante.

Il faut simplement trouver une bonne approche alternative en communication.