Avez-vous un but dans la vie? 30 % des Canadiens nous disent que non!

CROP réalise annuellement une vaste étude sur les valeurs et cordes sensibles des consommateurs et citoyens canadiens (notre programme Panorama). Étant en ce moment-ci en pleine analyse des résultats de notre cuvée 2018, un phénomène social autant triste que troublant a attiré notre attention : près d'une personne sur trois au pays nous dit ne pas avoir de but dans la vie!

L'énoncé utilisé pour étudier ce phénomène est lui-même troublant et émouvant. On demande aux gens s'ils sont d'accord avec... « De façon générale, je sens que je n'ai pas vraiment de buts dans la vie ». À une telle question, 30 % des Canadiens nous disent qu'ils sont en accord avec l'énoncé (sans aucune variation régionale significative d'un océan à l'autre). Que 6 % des gens se soient exprimés totalement en accord, pour 24 % plutôt en accord. Mais quand même, être plutôt en accord avec un tel énoncé est profondément déprimant!

De plus, ce qui est encore plus troublant, c'est l'évolution des résultats de cet indicateur. Sur près de 15 ans, on a vu presque doubler le nombre de gens au pays qui estiment ne pas avoir de but dans la vie! En effet, de 2004 à 2018, on est passé de 16 % à 30 % de gens en accord avec l'énoncé en question, avec une croissance qui est d'une désespérante linéarité.

Je répète constamment dans mes textes que pour certains d'entre nous, la vie, la société, le monde changent trop vite, que tous ne peuvent suivre. Nos nouveaux résultats confirment malheureusement cette tendance. Une division sociale grandissante ne cesse de croître d'année en année entre ceux qui trouvent l'époque stimulante et peuvent y trouver des opportunités, et ceux qui s'y sentent de moins en moins à leur place, qui se sentent exclus, mis de côté. Ce sentiment d'exclusion peut prendre plusieurs formes. L'absence de but dans la vie, l'incapacité d'y trouver une quête, un appel, des aspirations est certainement l'expression de cette difficulté de vivre avec l'époque.

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Des jeunes et de faibles niveaux socioéconomiques

Cette division sociale est la plus marquée chez les jeunes. Si 30 % des gens au pays nous disent ne pas vraiment avoir de but dans la vie, ils sont 40 % chez les moins de 35 ans. Nous avons souvent ces perceptions sur les milléniaux voulant qu'ils soient en train de changer le monde. Force est d'admettre qu'ils ne sont pas tous dans ce mouvement. Ils ne ressentent pas tous ce sentiment d'emprise. Deux sur cinq se sentent sans but, incapables de trouver un sens à la vie dans le monde d'aujourd'hui.

De faibles niveaux de revenus et d'éducation contribuent aussi énormément à ce sentiment que la vie est vaine. L'accord avec l'énoncé cité plus haut est de 40 % chez les gens dont le revenu familial est de moins de 40 000 $ par année et descend à 25 % chez ceux pour qui il est de 60 000 $ et plus. Même tendance pour l'éducation, l'accord avec l'énoncé passe de 36 % à 24 % de ceux qui n'ont complété qu'un secondaire à ceux qui ont une formation universitaire.

Mais si l'on voit bien que le niveau socioéconomique conditionne bel et bien cette absence de but dans la vie, on observe aussi qu'il n'explique pas tout le phénomène. Chez les mieux nantis et les plus éduqués, nous sommes quand même à un niveau d'une personne sur quatre de gens nous disant ne pas avoir de but, d'aspirations. Ce qui est non négligeable.

Un manque d'emprise sur la vie et un sentiment de déconnexion sociale

L'absence de but se situe dans un contexte de postures mentales passablement paralysant pour ces individus. Tout d'abord, ils souscrivent à une vision très fataliste de la vie. Selon eux, le destin est fixé. Il suit son cours. Chacun écope d'une place qui lui est comme désignée. Ils ont une impression d'immuabilité quant au « sort qui leur a été jeté ». Ils ne sentent que fort peu d'emprise quant à la capacité éventuelle d'améliorer ce sort. Ils ont l'impression que leur destinée est contrôlée par des forces de la société sur lesquelles ils ne peuvent rien.

Ils se sentent aussi déconnectés des autres et de la société autour d'eux. Peu les attache à la vie à laquelle ils doivent participer. Ils ont l'impression que la société est une jungle impitoyable, que les riches et puissants bénéficient de toutes les opportunités de l'époque et qu'il ne reste rien pour eux. Ils sont très cyniques face aux élites de la société.

Par conséquent, ils se replient dans une vision très conservatrice de la vie, valorisant des codes sociaux, familiaux et des rapports hommes-femmes très traditionnels, comme si ce conservatisme était le vestige d'une époque révolue où ils auraient pu avoir leur place. Selon eux, c'est ce monde d'aujourd'hui dominé par la diversité sociale, ethnique, sexuelle et en changement perpétuel qui les exclut.

Des chantiers d'inclusion sociale ou une division sans appel?

On ne peut qu'espérer que des chantiers d'inclusion sociale soient entrepris pour permettre à davantage de citoyens de bénéficier des opportunités du monde actuel. Certainement qu'il y a des initiatives dans des communautés qui peuvent faire une différence en intégrant les gens, en leur donnant une place dans la société, un ou des buts et on ne peut que souhaiter que ces initiatives vont se multiplier. Une prise de conscience et un engagement des gouvernements, institutions et entreprises via leurs politiques de responsabilité sociale s'imposent de plus en plus, et certaines initiatives ont déjà pris place.

Mais compte tenu de la tendance, il faudra faire plus. Beaucoup plus. Sinon la fracture sociale ira en s'accentuant et nourrira de plus en plus des mouvements d'extrême droite et de populisme comme on voit croître dans plusieurs démocraties du monde. À quand un Trump canadien?