Les Québécois face à l'urgence climatique

Ou quand un consensus social interpelle nos institutions
 
En collaboration avec l’Institut du Nouveau Monde
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Si le monde scientifique s’accorde pour dire que la crise climatique actuelle est certainement le plus grand défi auquel est confrontée l’humanité, qu’en pense la population québécoise ? Quels acteurs semblent avoir le plus d’influence et qui devrait porter la responsabilité de la lutte contre les changements climatiques ? Quelles solutions semblent les plus porteuses et quelles mesures les Québécoises et Québécois sont-ils prêts à accepter ? C’est ce que nous avons souhaité sonder...

 

L’enjeu des enjeux !

Les scientifiques de toutes les disciplines, les journalistes et les spécialistes de tous les horizons s’entendent sur le fait que la crise climatique actuelle est certainement le plus grand défi auquel est confrontée l’humanité. Des scénarios apocalyptiques et irréversibles se dessinent devant nous et requièrent des actions immédiates pour freiner et limiter le réchauffement climatique. La vie humaine telle que nous la connaissons peut certainement être menacée à long terme.

Or, malgré la gravité de l’enjeu, une mobilisation soutenue des parties prenantes demeure difficile à atteindre. Devant l’abondance des défis économiques, sociaux et personnels, les effets sur la vie des individus s’expriment inlassablement à court terme, les préoccupations environnementales font constamment l’objet de compromis qui les relèguent au second plan, leurs conséquences étant trop souvent perçues comme s’étalant sur le long terme.

Les citoyennes et citoyens, qui sont eux-mêmes aux prises avec de multiples problèmes dans leur vie quotidienne, classent l’urgence climatique derrière d’autres préoccupations. Il faut bien manger et se faire soigner avant de penser à l’avenir de la planète…

Le graphique suivant exprime fort bien cette posture mentale des Québécoises et Québécois.

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Une polarisation croissante

Par ailleurs, malgré la gravité de la situation écologique, une opposition sociopolitique contre les mesures visant à restreindre la pollution s’exprime avec de plus en plus de véhémence au sein de la population. Une personne sur trois au Québec (31 %) se dit prête à accepter davantage de pollution afin de préserver des emplois. Notons que ce sondage a eu lieu en grande partie avant la révélation médiatique de la « crise de l’arsenic »[1] de la fonderie Horne à Rouyn-Noranda.

 

Les gouvernements doivent constamment jongler avec leur volonté d’agir sur le plan environnemental et les impératifs économiques auxquels ils sont confrontés. Or, ce jeu de compromis irrite une part croissante de la population, laquelle souhaite que l’on mette de côté nos préoccupations environnementales afin de sauver des emplois.

 

Le graphique qui suit illustre bien ce phénomène.


On peut situer le début de cette controverse le 20 juin 2022, soit lorsque Radio-Canada a révélé que des données sur le lien entre le cancer du poumon dans la population de la région et le taux d’arsenic dans l’air relié à la fonderie Horne avaient été retirées d’un rapport sur la situation à la demande du Dr Horacio Arruda, ex-directeur de la santé publique.

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On pourra certes objecter qu’il y a sept personnes sur dix qui s’opposent à l’idée proposée par cette question (soit 69 %), mais la tendance à long terme de cet indicateur surprend autant qu’elle inquiète !

Cette tendance se manifeste aussi dans la récupération que font certains mouvements néoconservateurs ou complotistes des initiatives gouvernementales visant à réduire l’empreinte carbone des entreprises, les accusant de vouloir contrôler la vie de la population.

 

Les consensus québécois

Cependant, et ce malgré cette dernière tendance, les fractures sociales sont moins marquées au Québec qu’ailleurs dans le monde. Des consensus clairs émergent sur plusieurs sujets en lien avec l’environnement.

Les Québécoises et Québécois admettent tout d’abord que le réchauffement climatique est bel et bien causé par l’activité humaine, une position que n’a pas voulu entériner le Parti conservateur du Canada lors de son congrès de mars 2021.

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Devant une telle tendance, on remarque également que la population québécoise souhaite que les différents paliers de gouvernement s'investissent davantage dans la lutte contre les changements climatiques.

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Cela se confirme enfin face au niveau de satisfaction relativement faible de la population quant à la performance actuelle de ces mêmes paliers de gouvernement pour lutter contre les changements climatiques.

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La responsabilité de tous les ministères

Dans cette volonté des Québécoises et Québécois de voir les gouvernements s’investir davantage dans la cause environnementale, notre enquête a fait ressortir un résultat fort intéressant. Lorsqu’on leur demande quel ministère devrait être responsable de la lutte contre les changements climatiques, une majorité claire (soit 58 %) nous répond que ce devrait être la responsabilité de tous les ministères que d’intégrer des critères environnementaux dans leurs processus décisionnels.

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La place des citoyennes et des citoyens

Force est d’admettre que, malgré la meilleure volonté du monde, la Québécoise ou le Québécois moyen n’a pas l’impression d’exercer une grande influence comme acteur social pour lutter contre les changements climatiques. Un certain sentiment d’impuissance l’habite à cet égard, un manque d’emprise. Comme l’indique le graphique suivant, selon les individus sondés, ce sont les entreprises, les industries et les gouvernements qui ont les moyens d’agir les plus conséquents dans ce domaine.
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Malgré tout, une proportion significative de citoyennes et citoyens est prête à modifier ses comportements individuels, comme l’indique le graphique suivant.
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Ces résultats donnent une perspective intéressante sur le potentiel de mobilisation des Québécoises et Québécois à l’égard des enjeux climatiques. Mis à part l’abandon de l’avion et de la voiture en solo, qui est à l’évidence considéré comme une mesure trop restrictive, une proportion significative de la population affirme soit s’être déjà engagée à respecter les autres mesures, soit être prête à le faire si elle le pouvait. Dans ces résultats sommeillent des opportunités de mobilisation importantes. Les gens se sentent peut-être impuissants, mais, si on leur en donne l’opportunité, ils pourraient contribuer, ils pourraient s’engager.

 

Un consensus qui émerge

On peut donc conclure à partir de ces divers résultats qu’il existe une volonté manifeste chez les Québécoises et Québécois de voir notre société (qu’il s’agisse des individus, entreprises et institutions) prendre en charge de façon plus soutenue la cause des changements climatiques. Dans la mesure où cette conclusion se confirme dans d’autres sondages que nous avons réalisés, nous avons senti le besoin d’en établir une synthèse prenant en considération toutes nos observations de façon holistique. Nous avons donc procédé à un exercice de classification de la population québécoise par segmentation selon l’ensemble des points de vue exprimés à l’égard des changements climatiques dans le cadre de cette étude.

 

Types de Québécoises et Québécois selon leur mobilisation à l’égard des changements climatiques

Cinq profils-types de Québécoises et Québécois sont ressortis de cet exercice :
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1. L’Engagé (23 %)

Il est de ceux pour qui la lutte contre les changements climatiques est de loin la préoccupation la plus importante (parmi nos choix proposés, voir graphique 1) tout en étant profondément convaincu que notre mode de vie est en train de détruire la planète. Même s’il se sent dépassé par l’enjeu, il croit quand même en l’efficacité de l’action individuelle et des collectivités, tout en insistant sur le fait que les gouvernements et les entreprises en fassent beaucoup plus. Il met déjà en pratique plusieurs mesures pour réduire significativement son empreinte carbone, y compris prendre moins l’avion et l’auto individuelle. On retrouve dans ce profil davantage de femmes, sans enfant, et de personnes ayant des revenus inférieurs à la moyenne, mais avec des niveaux d’éducation supérieurs.

 

2. Le Conciliant (17 %)

Sur le plan des attitudes à l’égard des changements climatiques, il est assez semblable à l’Engagé. Il considère sans contredit que la lutte contre les changements climatiques est l’enjeu le plus important à l’heure actuelle (graphique 1). Toutefois, il exprime une différence très importante face à l’Engagé : il est majoritairement d’accord pour tolérer des niveaux de pollution plus élevés de façon à préserver des emplois (d’où le terme de Conciliant que nous lui avons apposé). Il est aussi majoritairement satisfait de l’action des gouvernements sur cet enjeu, considérant qu’ils font ce qu’ils peuvent. À noter qu'au sujet des mesures visant à réduire l'empreinte carbone, une majorité de personnes nous dit qu’elles sont prêtes à les mettre en pratique, mais sans nous dire nécessairement qu’elles le font déjà. On retrouve dans ce profil davantage d’hommes et de jeunes de moins de 35 ans ayant des niveaux socioéconomiques plus élevés que la moyenne.

 

3. Le Frugal (26 %)

Il exprime un point de vue moins passionné que les deux premiers segments, tout en restant quand même sensible à la cause. Il agit. Majoritairement, il tente de moins consommer et d’acheter des produits usagés. Il recycle et composte. Mais surtout, il est insatisfait de l’action des gouvernements en ce domaine et espère qu’ils s’investissent davantage. On retrouve dans ce profil davantage de personnes âgées de plus de 35 ans, sans enfant.

 

4. L’Attentiste (35 %)

Il est fort semblable au Frugal. Sensible à la protection de l’environnement, il souhaite que les gouvernements en fassent davantage à ce sujet, tout en s’opposant à ce que l’on tolère la pollution sous prétexte de préserver des emplois. Toutefois, il se distingue par son « attentisme ». Il attend. Concernant toutes les propositions d’actions visant à réduire son empreinte carbone, il répond qu’il « pourrait le faire ». On peut certes se demander ce qui l’en empêche, mais il répondrait certainement présent si quelques mouvements de mobilisation venaient le convier à des actions pour protéger la planète. Notons qu’aucune caractéristique démographique n'est particulièrement surreprésentée dans ce profil.

 

5. L’Insensible (12 %)

Il est le parfait opposé de l’Engagé. Il n’est absolument pas sensible aux enjeux écologiques. Il ne compte certainement pas agir et il considère que les gouvernements ne devraient pas investir davantage dans ce domaine. En fait, les enjeux reliés au réchauffement climatique le laissent complètement indifférent. On retrouve dans ce profil davantage de gens ayant de faibles niveaux socio-économiques (revenus et éducation).

 

Un appel à la mobilisation

Si on exclut l’Insensible, on obtient donc neuf personnes sur dix au Québec (soit 89 %) qui appartiennent à des segments de population pour qui le réchauffement climatique est un enjeu important et qui espèrent voir les gouvernements et les entreprises s’y investir davantage.

Leur nombre est très imposant. La requête est claire : les Québécoises et les Québécois demandent de l'action, des engagements. L’avenir de leurs enfants et des prochaines générations est en jeu. On ne peut laisser la vie humaine sur Terre courir à sa perte.

Concernant les entreprises, l’attente des Québécoises et Québécois est évidente. Elles doivent revoir la conception de leurs produits et de leurs services ainsi que leurs chaînes de production afin de devenir carboneutres. Une très large majorité de personnes insiste pour que l’on ne sacrifie plus la protection de l’environnement sur l’autel de l’activité économique.

Les entreprises et leurs marques jouissent ainsi d’une importante opportunité de mobilisation de leurs clientèles, et pourraient donc inciter ces dernières à s’impliquer dans des initiatives écologiques. Les marques, qui ont un fort pouvoir d'attraction auprès de plusieurs publics, disposent des leviers nécessaires pour mettre à contribution de nombreuses parties prenantes. Cette force de frappe pourrait s'avérer bénéfique si elle était mise à contribution.

Du point de vue des gouvernements, la situation est plus complexe. Concilier économie et écologie ne sera jamais facile. On peut certes citer de nombreux exemples d’initiatives d’économie verte, mais la majorité des installations industrielles au Québec est loin d’être carboneutre. Le gouvernement ne peut imposer la carboneutralité à tous sans provoquer d’énormes remous économiques et potentiellement en payer un lourd prix politique.

Il n’en reste pas moins que, comme dans la plupart des cas, les institutions sont à la remorque des citoyennes et citoyens et s’adaptent aux valeurs changeantes de la société. Cela est particulièrement vrai en politique. Les personnes élues représentent la population, s’imprègnent de leurs préoccupations et finissent par leur offrir des options politiques visant à répondre à leurs besoins. Espérons que cet appel citoyen sera entendu !

 

Méthodologie

La collecte des données pour ce sondage CROP s’est déroulée entre le 15 et le 21 juin 2022 par le biais d’un panel Web. Au total, 1 000 questionnaires ont été remplis par des Québécoises et Québécois âgés de 18 ans et plus. Le questionnaire comportait une quinzaine de questions. Les résultats ont été pondérés afin de refléter la distribution de la population à l’étude selon le sexe, l’âge, la langue maternelle et la scolarité des répondantes et répondants. Notons que, compte tenu du caractère non probabiliste de l’échantillon, le calcul de la marge d’erreur ne s’applique pas.