En science on peut la définir comme la réorganisation simplifiée d'un corps sous l'effet d'un champ électromagnétique. Voilà qui résume bien l’atmosphère que l’on peut observer dans la campagne électorale américaine actuelle ou encore dans celle des législatives en France l’été dernier.
Plusieurs campagnes électorales dans le monde se font sur le dos des immigrants. Certains apôtres du développement de nos ressources oseraient espérer que l’on considère autre chose que la protection de l’environnement (particulièrement dans l’ouest du pays). Le Parti québécois relance le débat sur la souveraineté du Québec alors que les sondages y sont forts peu favorables, etc.
Face à tous les enjeux qui traversent les sociétés actuellement, des lignes de fractures se sont créées. Des mouvements d’opposition sociale prennent forme et peuvent même s’exprimer avec véhémence (la vaccination en fut un bel exemple durant la pandémie).
En collaboration avec l’Institut du Nouveau Monde, CROP a tenté de cerner la position du Québec vis-à-vis ces grands mouvements d’opposition sociale. Le présent texte propose une approche de synthèse sur les principaux résultats de notre étude sur le sujet.
Plus spécifiquement, face à une pléthore d’enjeux potentiellement pertinents, nous avons arrêté notre choix sur six thèmes pour lesquels nous pouvions articuler des points de vue opposés afin d’y positionner les Québécois et d’observer les éventuelles polarisations :
L’immigration : accueillir ou contrôler ?
La protection de l’environnement ou la sauvegarde des emplois ?
L’importance de l’État : providentiel ou minimal ?
Le statut du Québec : indépendant ou à l’intérieur du Canada ?
L’identité de genre : traditionnelle ou selon les besoins de chacun ?
Notre rôle sur le plan international : la diplomatie ou la défense ?
On peut donc conclure ici avec un scénario voulant que plus les plus jeunes générations d’adolescents vont intégrer le « monde des adultes », plus l’ensemble de ces tendances risque de continuer à progresser vers le haut. Enfin, à moins qu’on puisse réengager ces jeunes dans la société.
Nous ne spéculerons pas sur l’avenir des résultats de l’Indice de gravité de la criminalité au pays(Crime Severity Index - CSI), mais disons que les tendances actuelles sont de mauvais augures !
Espérons qu’on se trompe !
Clairement, on observe que la division des Québécois sur chacun de ces enjeux est plus qu’apparente. Au plus, quelques thèmes obtiennent de légères majorités alors que dans presque tous les cas les Québécois se divisent en diverses pluralités.
Aucun thème ne s’impose de façon consensuelle. Le Québec est pluriel.
Les différences sociales et la polarisation
La polarisation est plus apparente lorsque l’on considère les différents segments sociodémographiques qui composent la société québécoise.
Les plus jeunes se distinguent en accordant une vive priorité à l’environnement, à l’accueil des immigrants et au renforcement de l’État et de ses services (quitte à augmenter les taxes).
Alors que de l’autre côté du spectre, les générations plus âgées opteraient pour un contrôle beaucoup plus strict de l’immigration, des approches plus conciliantes à l’égard de l’environnement et du rôle de l’État face à la prospérité économique et au soutien à l’entreprenariat.
Les gens plus scolarisés sont plus accueillants à l’égard de l’immigration, plus prompts à favoriser la protection de l’environnement avant toutes considérations économiques. Ils favorisent la diplomatie au lieu de la défense nationale et un gouvernement offrant davantage de services. Ils sont moins souverainistes.
Les femmes sont plus ouvertes à l’expression des diverses identités de genre alors que les résidents de la régions de Montréal sont plus accueillants à l’égard de l’immigration et moins souverainistes.
Ainsi, peu importe où l’on se trouve sur l’échiquier social, on adopte des postures spécifiques à l’égard des enjeux sociopolitiques auxquels la société actuelle est confrontée.
Les intentions de vote et la polarisation
La politique est certainement un lieu d’expression privilégié pour les diverses positions de polarisation et le Québec ne fait pas exception. Même si, heureusement, l’extrémisme y est fort peu présent comparativement à certains pays dans le monde.
Les partisans du Parti libéral sont très accueillants à l’égard des immigrants et nullement indépendantistes.
Ceux du Parti québécois favorisent nettement un contrôle plus strict de l’immigration tout en étant évidemment plus indépendantistes (quoique seulement 60% des partisans du PQ le sont de façon tout à fait convaincus).
Ceux de Québec solidaire sont accueillants à l’égard des immigrants, de la diversité de genre et très axés sur la protection de l’environnement.
Enfin, les partisans de la CAQ se distinguent par une vive volonté de contrôler l’immigration tout en étant fort peu indépendantistes.
Les relations personnelles et la polarisation
Cette polarisation ne s’exprime pas uniquement sur le plan politique. Dans leurs relations avec les gens autour d’eux, les Québécois se retrouvent régulièrement dans des situations confrontantes ce qui peut avoir des impacts négatifs sur leurs relations amicales comme en témoignent les résultats suivants :
Les chiffres sont éloquents ! Deux personnes sur trois au Québec (65%) se retrouvent, au moins à l’occasion, dans des situations de « polarisation » et deux sur cinq (40%) peuvent ainsi perdre des amis. On se retrouve presque à l’époque où l’on disait dans les églises : « l’enfer est rouge et le ciel est bleu » *
Notons que les plus jeunes sont ceux qui se retrouvent le plus souvent dans ces situations d’échanges d’opinions potentiellement conflictuelles avec lesquelles il est difficile de composer en toute amitié.
De plus comme le veut l’adage populaire, les Québécois n’aiment pas les conflits, en conséquence la plupart tentent d’éviter certains sujets de conversations afin de ne pas se retrouver dans des situations conflictuelles.
Cependant, plusieurs s’aventurent à l’occasion sur ces « terrains glissants », au prix pour quelques-uns de se retrouver dans des situations fort difficiles.
Le tableau suivant est concluant à ce sujet :
Encore une fois, les plus jeunes se distinguent face aux plus vieux. Ils ont visiblement plus de difficulté à se taire dans de telles situations et finissent plus souvent qu’autrement par se retrouver dans des situations embarrassantes.
Même en amour !
Les opinions politiques des partenaires peuvent influer sur la pérennité de leurs relations. Si la majorité peut vivre avec des différences d’opinions importantes dans leur couple, pour un Québécois sur quatre (26 %) il s’agit d’une fin de non-recevoir.
Notons que les jeunes se distinguent encore ici, cette fois par leur ouverture face aux différences d’opinions, tout comme les hommes.
Les femmes sont quant à elles beaucoup plus portées que les hommes à ne pas tolérer de différences importantes avec leur partenaire sur des sujets aussi sensibles que ceux que nous avons mesurés.
Visiblement, les jeunes hommes au Québec ont d’autres critères de sélection pour le choix de leur partenaire.
Les « facteurs » stimulant la polarisation
Devant une telle diversité de points de vue, laquelle semble aller un peu dans toutes les directions, il nous a semblé opportun d’effectuer une approche de synthèse.
Tout d’abord nous avons réalisé ce que l’on appelle dans notre métier une « réduction dimensionnelle ». Nous avons produit une synthèse de l’information recueillie en identifiant de « grands facteurs » (ou axes) pouvant résumer ou même « expliquer » les différentes attitudes des répondants.
Deux « axes » furent identifiés :
Une posture mentale profondément humaniste chez les Québécois, laquelle s’exprime notamment par un accueil bienveillant à l’égard de l’immigration et de la diversité de genre, tout en privilégiant la démocratie et la diplomatie plutôt que la défense nationale.
À l’opposé de cette posture, on retrouve une forme de conservatisme privilégiant un contrôle strict de l’immigration, des identités de genre tout à fait traditionnelles, ainsi qu’une priorité à la défense nationale face à l’investissement dans la diplomatie.
Le second axe oppose des souverainistes convaincus prônant une priorité absolue à la protection de l’environnement, tout en souhaitant un gouvernement plus présent et offrant davantage de services, à des « Canadiens » dans l’âme, privilégiant un rôle moindre de l’État en favorisant la prospérité économique et le soutien à l’entreprenariat.
On peut très bien voir ici, comment ces axes de valeurs et de postures mentales chez les répondants ont pu jouer un rôle d’arrière-plan face aux différentes positions polarisées qui se sont exprimées lors de cette étude.
Par ailleurs, cette approche de synthèse nécessitait que l’on quantifie par la suite les gens qui partagent ces différents schèmes de valeurs au sein de la population québécoise (que nos « grands facteurs » ont permis d’identifier).
Segmenter les Québécois selon leur vision sociopolitique
En subdivisant les côtés opposés de chacun des deux axes, nous avons pu identifier et quantifier quatre grandes « familles » de Québécois, quatre segments qui illustrent les différents points mesurés.
1. L’Indépendantiste conservateur : 23 % (Québécois âgés de 18 ans et plus)
Il est profondément indépendantiste. Du type plutôt protectionniste, espérant un contrôle strict de l’immigration. On y retrouve une sur-représentation d’individus favorisant davantage la défense et l’armée plutôt que la diplomatie et la démocratie.
On compte ici une sur-proportion de Québécois qui n’accepteraient en aucun cas de fréquenter amoureusement une personne ayant des opinions politiques drastiquement différentes des leurs.
Soulignons qu’on observe également une sur-représentation d’hommes, de gens âgés de 55 ans et plus, vivant en région, de revenus et de niveaux d’éducation inférieurs à la moyenne québécoise et votant pour le Parti québécois.
2. Le Canadien conservateur : 34 %
Comme son nom l’indique, il est certainement du type protectionniste, espérant un contrôle strict de l’immigration, un rôle moindre de l’État ainsi que des mesures qui favorisent la prospérité économique et le soutien à l’entreprenariat, tout en étant profondément canadien.
Il est vraiment fort peu ouvert aux identités de genre non-traditionnelles et on compte ici aussi une sur-représentation d’individus favorisant davantage la défense et l’armée.
Il est en sur-représentation dans la région de Québec (RMR), dans les revenus moyens, à faible scolarité et chez les partisans de la CAQ.
3. Le Canadien humaniste : 25 %
Lui aussi, est profondément canadien tout en étant foncièrement convaincu qu’il faille avant tout investir dans la démocratie, la diplomatie et le dialogue entre les pays pour promouvoir la paix.
Il est aussi tout à fait d’avis qu’il est urgent d'adopter des mesures drastiques pour protéger l’environnement, tout en étant très accueillant à l’égard de l’immigration et à la diversité de genre.
Il est sur-représenté à Montréal (RMR), chez les femmes, les 18-34 ans et chez les partisans du Parti libéral du Québec.
4. L’Écolo humaniste : 18 %
Ce dernier segment se distingue avant tout par l’urgence très marquée qu’il exprime à l’égard de la protection de l’environnement et son insistance pour que l’on investisse davantage dans la démocratie, la diplomatie et le dialogue entre les pays.
Il est aussi tout à fait ouvert aux identités de genre non-traditionnelles.
On trouve ici une pluralité d’indépendantistes souhaitant un gouvernement plus présent et offrant davantage de services aux citoyens.
Soulignons qu’on décompte aussi une nette sur-représentation de Québécois avec un haut niveau de scolarité, appartenant à des foyers avec enfants, partisans du Parti québécois et de Québec solidaire.
Quand on se compare …
Le but de cette étude étant de faire l’état des lieux de la polarisation au Québec, nous avons assurément insisté sur son importance dans la population.
Mais, malgré la diversité et la division sociopolitique que l’on peut observer dans la société québécoise, la situation nous semble infiniment moins marquée que dans plusieurs pays du monde.
Des positions opposées s’affrontent certes dans l’arène politique, mais on est loin de ce qui peut s’observer aux États-Unis ou en France par exemple.
Les « extrêmes » droite et gauche ne se manifestent nullement au Québec. Nous n’avons pas de Donald Trump ni de Marine Le Pen ou de Jean-Luc Mélenchon.
Notre Parti conservateur avec Monsieur Duhaime nous apparait plutôt modéré vis-à-vis des politiciens cités plus haut, sans oublier que les sondages ne leur accordent qu’environ 10 % du vote populaire.
Il aurait été intéressant de réaliser une telle étude au Canda anglais où la polarisation ainsi que le populisme nous donne l’impression d’être plus prononcés (que l’on pense à la popularité de politiciens(nes) comme Pierre Poilievre et Danielle Smith en Alberta).
Les prochaines élections fédérales devraient être très révélatrices à cet égard.
Ainsi, malgré la polarisation bien réelle observable au Québec, cette dernière s’exprime pour le moment suivant les coutumes usuelles de toute saine démocratie et favorise plutôt le pluralisme des idées.
Espérons que cette situation perdure dans le temps.
* Pour les plus jeunes, précisons que « L'enfer est rouge et le ciel est bleu » était une expression utilisée autrefois par le clergé et certains politiciens au Québec pour désigner le Parti libéral (rouge) versus le Parti conservateur et celui de l’Union nationale (bleu).