La version CROP du modèle d’adoption de l’innovation d’Everett Rogers.
Sociologue et statisticien américain, Everett Rogers a, dans les années 60, publié un ouvrage devenu célèbre sur les étapes par lesquelles les innovations pénètrent les marchés auprès des consommateurs et se diffusent dans les populations ("Diffusion of Innovations" en était à sa 5e édition en 2003).
Le but de ce dossier est de quantifier et de faire le profil des différents types d’adoptants (ou non) dans les marchés au pays, aujourd’hui.
Pour ceux qui ne seraient pas familiers avec cette théorie, le modèle de Rogers se présentait comme suit…
Selon ce modèle, lors de son introduction dans le marché, seulement de petits groupes d’individus particulièrement ouverts et enthousiastes aux nouvelles idées et au changement vont se prévaloir d’une innovation (que l’on pense au téléphone cellulaire par exemple).
Ils sont susceptibles d’avoir des revenus supérieurs à la moyenne, certaines innovations pouvant être assez onéreuses lors de leur introduction dans les marchés alors que leurs prix baissent avec leur diffusion.
Rogers en a fait deux groupes et les a nommés les Innovateurs et les Adoptants précoces (« Early adopters » an anglais, l’expression est de lui).
Par la suite, comme la diffusion de l’innovation se poursuit, elle rejoint des segments plus ou moins ouverts ou réfractaires, jusqu’à ce qu’elle rejoigne virtuellement l’ensemble de la population (d’où le 100% en haut de l’axe vertical à droite sur son graphique).
La théorie derrière cette segmentation s’appuyait sur une modélisation des comportements d’adoption des consommateurs, laquelle voulant qu’ils se distribuent selon une courbe normale.
Cette théorie visait, dans un contexte académique, à décrire sociologiquement les étapes de la diffusion et de l’adoption des innovations par la population.
L’approche CROP
Même si l’on vise à recréer la classification des consommateurs selon un modèle analogue à celui de Rogers pour les marchés d’aujourd’hui, notre objectif est davantage de comprendre les besoins, valeurs et cordes sensibles des différents types d’adoptants, de façon à appuyer les efforts de marketing qui visent à promouvoir l’innovation.
À ce sujet, nous suivons depuis plusieurs années un certain type d’indicateurs qui donnent une très bonne idée de l’attitude des consommateurs à l’égard de l’innovation ainsi que de l’évolution de ces attitudes.
Voici deux exemples parmi ceux que nous suivons annuellement…
Notre courbe de diffusion et d’adoption
À partir de l’ensemble des indicateurs que nous suivons sur l’adoption de l’innovation, nous avons réussi à reproduire le modèle de Rogers en l’adaptant aux marchés d’aujourd’hui, ce qui nous donne la courbe suivante… (Nous avons regroupé les Innovateurs et les Adoptants précoces dans une catégorie, leurs profils étant à toute fin pratique identiques).
De plus, nos bases de données nous permettent de suivre l’évolution de cette classification des consommateurs au cours des années. Ce qui nous donne le tableau suivant…
La tendance
Comme on peut l’observer à partir des deux indicateurs présentés précédemment, tout comme sur la distribution d’ensemble de notre courbe d’adoption, l’enthousiasme pour l’innovation a connu une forte croissance durant les années 2010 jusqu’en 2018.
Cette croissance suivait et même nourrissait celle de notre indice d’enthousiasme pour la consommation, laquelle a aussi connu un sommet en 2018.
L’année 2019 marque une pause dans la tendance à la hausse de tous ces indicateurs, comme si les consommateurs, après toutes ces années de frénésie, éprouvaient un soudain élan de prudence. La pandémie en 2020 allait accélérer ce mouvement de circonspection.
Une certaine reprise de l’enthousiasme s’est exprimée en 2021, tout en restant stable en 2022, dans un contexte de hausse de l’inflation et des taux d’intérêts.
La courbe CROP d’adoption de l’innovation
Même si le modèle de Rogers assume que les innovations se diffusent linéairement dans le temps en remplissant ses « quotas » d’un segment d’adoptants à l’autre (progressivement des Adoptants précoces jusqu’aux Réfractaires), notre approche suppose plutôt que les consommateurs de chacun de ces segments peuvent être « convertis » à tous moments si l’on sait faire vibrer les bonnes cordes sensibles en eux (même si la linéarité du modèle Rogers demeure encore valable aujourd’hui).
Par exemple, si une marque plutôt traditionnelle peut aller chercher de nouvelles clientèles en introduisant une innovation pertinente dans le marché (les Adoptants précoces pouvant s’y intéresser), il faudra bien des arguments spécifiques pour convaincre l’audience plutôt traditionnelle qu’elle rejoint déjà.
Voilà pourquoi, notre approche consiste à s’intéresser au profil de valeurs spécifiques de chacun de ces types d’adoptants.
Des Adoptants précoces aux Réfractaires
Les Adoptants précoces (13 %)
On peut trouver dans les publications de notre site web une « capsule » les décrivant (« Ceci n’est pas une innovation »).
Fondamentalement, ce sont des explorateurs! Ils veulent découvrir la vie, le monde et se découvrir eux-mêmes, ils sont avides d’opportunités. Ils cherchent à transformer constamment leur vie afin de développer et d’exprimer leur potentiel et leur créativité.
Les principales cordes sensibles à faire vibrer afin de les mobiliser sont…
- le développement personnel et la créativité
- le plaisir, l’hédonisme, le frisson
- la connexion avec les autres, la diversité, la nature - la fierté, l’expérience de statut de s’afficher avec l’innovation
La Majorité précoce (39 %)
Ils attendent que les innovations aient fait un minimum de preuves, de voir comment les Adoptants précoces se comportent en les utilisant.
Par ailleurs, on peut certainement accélérer l’adoption auprès d’eux en créant une expérience de statut autour de l’innovation.
Ils expriment très fortement des motivations de standing social. S’afficher avec une innovation répond tout à fait à ce besoin.
Ils partagent aussi quelques traits des Adoptants précoces, mais en moins prononcé, dont…
- le développement personnel et la créativité
- le plaisir, l’hédonisme, le frisson
- la connexion avec les autres, la diversité, la nature
La Majorité tardive (38 %)
Ceux qui en font partie seront les plus difficiles à convaincre. Comme le pense Rogers, le temps fera son travail selon le processus de diffusion de l’innovation.
Même si en termes d’attitudes, ils ne sont pas aussi opposés à l’innovation que les Réfractaires, ils expriment peu de cordes sensibles que l’on pourrait faire vibrer pour les sensibiliser (ce qui n’est pas le cas chez les Réfractaires comme on le verra plus loin).
L’opposition du consommateur de la Majorité tardive à l’innovation vient de sa grande prudence et de sa frugalité en consommation. Il affiche un profil qui s’apparente un peu à la simplicité volontaire.
L’innovation représente la consommation qu’il essaie de réduire et le changement représente une source d’incertitude pour lui.
Notons quand même qu’il exprime un certain besoin d’emprise dans sa vie, un besoin de plus de contrôle sur ce qu’il vit. Si on peut positionner l’innovation comme un outil qui permet d’acquérir un plus grand sentiment d’emprise sur sa vie, on pourrait peut-être quand même arriver à capter son attention.
Les Réfractaires (10 %)
Ils représentent la quintessence de la simplicité volontaire, le « No logo » par excellence (il est aussi le portrait typique d’un de nos segments dans notre segmentation sur les valeurs des consommateurs et citoyens).
Ils expriment une opposition systématique à l’innovation. Ils l’associent à des gadgets que la société de consommation essaie de nous imposer. Ils s’opposent à cette dernière la considérant comme un gaspillage éhonté de ressources.
Ils affichent une forte sensibilité à la protection de l’environnement voulant épouser le style de vie le plus « durable » possible, voulant faire ce qu’ils peuvent pour contribuer à sauver la planète.
Ils ne sont pas anti-changement comme étaient les Réfractaires de Rogers. Ils sont anti-consommation par convictions idéologiques, écologiques.
Or, ces mêmes convictions pourraient servir d’arguments pour les convertir à l’innovation si cette dernière peut servir à diminuer leur empreinte carbone, à protéger l’environnent.
Un positionnement écologique pourrait convaincre les plus réfractaires de se laisser convaincre à adopter certaines innovations !
L’opportunité
Elle consiste à stimuler les marchés. Pour les marques, les entreprises et même certaines institutions (financières notamment), de nos jours l’innovation devient un attribut incontournable.
La consommation carbure à l’innovation. Cette dernière lui donne son impulsion. Les marques et les entreprises sont condamnées à innover.
Loin de nous l’intention de promouvoir une consommation déraisonnable ou irresponsable, mais des innovations pertinentes peuvent certainement apporter une valeur ajoutée à la société. Il faut trouver les façons optimales de les promouvoir.